Dossier «L'Affaire du RER D» — Le Monde Fermer la fenêtre

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La chronique d'Eric Fottorino
Devise Shadoks
LE MONDE | 21.07.04 | 12h32

L'affaire du RER D a poussé nos lecteurs à écrire. Toutes sortes de lettres. Des fulminantes avec cendre à se verser sur la tête. Des grinçantes, des ironiques, des vachardes et des bien vues. Dans le lot, on en a trouvé de réconfort, qui ne nous ont pas tout à fait réconforté, ébaubi que nous étions encore à avoir, en bonne conscience, imprimé de la fausse monnaie.

On aurait pu ce matin saluer l'extra-terrestre Armstrong lancé à bord de son Air Force Six à l'assaut des Alpes.

La tentation nous a effleuré aussi de rendre justice au loup contre les brebis, sachant que le ministre de l'environnement a autorisé le tir de quatre de ces bêtes sauvages dans un souci d'équilibre naturel.

Mais une lettre de Toulouse envoyée par une dame qui se présente comme une vieille dame nous a fait changer notre fusil d'épaule.

Une vieille dame de Toulouse, notez bien. Aussitôt, on l'a imaginée sortie d'une chanson de Nougaro, ces vieilles dames de la Ville rose, pas rosses pour un sou, mais qui aiment la castagne.

Voilà ce que nous dit Etiennette, dont le courrier manuscrit sent bon non pas la violette, mais l'indignation, face à la violence, surtout quand elle a été inventée de toutes pièces.

D'une écriture héritée de l'école républicaine, avec des pleins très pleins et des déliés on ne peut plus déliés, une écriture belle à regarder avant même de la déchiffrer – si l'on peut déchiffrer des lettres –, Etiennette nous fait rougir à sa manière.

C'est au sujet de l'accusation qui lui reste en travers de la gorge dans cette triste affaire. L'accusation selon laquelle des passagers du RER auraient tout vu sans broncher ni intervenir "pour rentrer dans le lard" des supposés agresseurs.

D'abord, Etiennette suppose que nous sommes musclé "des mollets et des cuisses", rapport à notre pratique de la bicyclette qui ne lui a pas échappé. Ensuite, elle nous crédite de prendre le métro "assez souvent" et peste contre les politiques, "tous ces gens qui ne le prennent que pour l'inaugurer sous protection policière. Et qui n'ont rien fait, depuis des décennies, pour intégrer les jeunes d'origine maghrébine ou africaine".

Pan sur le bec ! Finalement, elle aime la castagne, Etiennette, la castagne avec des mots, à mots portants. Et ils portent loin.

"J'appartiens, confie-t-elle, à la foule de gens plus ou moins fatigués, à muscles flasques, qui peuplent la rue et les transports en commun, et qui ne se sentent pas la stature pour rentrer dans le lard, et sont agacés de se voir morigénés pour leur passivité."

Voilà qui est bien dit. La suite est encore meilleure. "Justement, écrit notre correspondante de Toulouse, ces jeunes d'origine etc., je les rencontre souvent dans le bus que je prends, qui traverse une cité. La vieille dame que je suis – et les autres – reste rarement debout : il y a toujours un garçon ou une fille qui se lève pour céder sa place. J'aimerais qu'on en parle plus souvent que des autres, car ils sont sûrement plus nombreux." Et de conclure : "Il suffirait peut-être de leur ouvrir les bras ?"

Message reçu, Etiennette. Comme celui d'un Jean, de l'île de Ré, qui nous adresse en clin d'œil cette devise Shadoks : "Il vaut mieux pomper même s'il ne se passe rien que risquer qu'il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas."

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.07.04